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Discrimination : l’employeur tenu responsable des agissements des bénévoles

Publié le 20/02/2019

Lorsqu’un salarié est victime de discrimination, l’employeur peut être tenu responsable non seulement de ses propres agissements, mais également, des agissements des personnes qui exercent, de fait ou de droit, une autorité sur le salarié. C’est ce qu’a jugé la Cour de cassation dans un arrêt récent, publié au bulletin. Cass.soc. 30.01.2019, n°17-28.905.

  • Faits et procédure

Dans cette affaire, une salariée employée en qualité d’agent polyvalent par une association sportive a été victime de faits discriminatoires. Lors d’une soirée organisée par son employeur, alors qu’elle travaillait aux côtés de bénévoles dans les cuisines du restaurant de l’association, elle est l’objet de la part de ces derniers, d’une injure à connotation sexiste et de jet de détritus alimentaires (salade, frites, œufs frais). Les faits ont eu lieu en présence de son supérieur hiérarchique, également tuteur chargé de son intégration dans l’entreprise, qui n’a aucunement réagi pour faire cesser cette situation.

La loi punit le harcèlement discriminatoire au même titre que la discrimination :  la discrimination inclut « tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » (1).

Après avoir dénoncé par courrier à son employeur ces faits de discrimination, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes d’une demande en paiement de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices moral et financier pour discrimination et violation par l’employeur de son obligation de sécurité.

Les juges du fond retiennent l’existence de faits discriminatoires mais refusent d’en imputer la responsabilité à l’employeur.

  • Aucun lien de préposition entre les bénévoles et l’employeur

La cour d’appel rejette la demande de la salariée. Selon elle, rien ne permet d’affirmer que les bénévoles en question se trouvaient « sous la subordination hiérarchique de l’association ». Elle affirme que la responsabilité de l’employeur ne saurait être engagée dès lors qu’aucun « lien de préposition » ne semblait le lier aux bénévoles.  

La responsabilité des commettants du fait de leurs préposés est une notion de droit civile. C'est un type de responsabilité du fait d'autrui (2). Le lien de préposition est caractérisé toutes les fois qu’une personne exerce un pouvoir de direction et de contrôle sur l’activité d’autrui. Cela signifie qu'il y a un rapport de subordination entre le commettant et le préposé. Toutefois, le lien de préposition ne concerne pas que les personnes liées par un contrat de travail. En effet, il naît du pouvoir de donner des ordres en vertu de l’autorité qu’une personne exerce sur une autre, peu que ce rapport de préposition se noue dans le cadre d’une relation juridique.

Par ailleurs, les juges du fond relèvent que l’employeur n’est pas resté sans réaction à la suite des faits litigieux. Ce dernier a fait procéder à une enquête interne et a invité les salariés de son entreprise à prendre toutes les précautions nécessaires dans leurs relations avec la salariée.

  • Une autorité de droit… ou de fait entre les bénévoles et la salariée !

La Cour de cassation ne suit pas le raisonnement des juges d’appel. Elle ne cherche pas à établir un lien de subordination entre les bénévoles et l’employeur. La chambre sociale affirme, dans un attendu de principe, que « l’employeur, tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, notamment en matière de discrimination, doit répondre des agissements des personnes qui exercent, de fait ou de droit, une autorité sur les salariés ».

En d’autres termes, l’absence de lien de subordination juridique entre les auteurs des faits discriminatoires et la victime est sans incidence. L’employeur a l’obligation de protéger la santé et la sécurité de ses salariés et à ce titre, il doit répondre des agissements discriminatoires commis à leur encontre. Et ce, dès lors que les auteurs de ces faits exercent une autorité sur les salariés, que cette autorité naisse d’un lien juridique ou pas !

Ce faisant, la Haute juridiction adopte le même raisonnement qu’en matière de harcèlement moral. Elle avait d’ailleurs posé en la matière un attendu de principe en en des termes quasiment identiques(3). C’est ainsi qu’elle avait pu retenir la responsabilité de l’employeur pour des faits de harcèlement moral commis par sa mère par exemple (4).

Pour la CFDT, la position de la Cour de cassation fait sens. L’employeur doit s’assurer de la protection de la santé et de la sécurité de ses salariés, et ce en toute occasion ! Outre les bénévoles et l'entourage de l'employeur, cette solution a vocation à s'appliquer plus largement pour d'autres tiers : les salariés mis à disposition dans l'entreprise, les prestataires de services etc. 

 



(1) Art. 1 – Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations

(2) Art. 1242 C.civ.

(3) Cass.soc., 19.10.11, n°09-68.272 : « Attendu que l'employeur est tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, et que l'absence de faute de sa part ne peut l'exonérer de sa responsabilité ; qu'il doit répondre des agissements des personnes qui exercent, de fait ou de droit, une autorité sur les salariés ».

Idem Cass.soc. 01.03.11, n°09-69.616 et

(4) Cass.soc. 03.11.11, n°10-15.124