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Horaires de nuit/de jour : la modification s’impose-t-elle aux salariés ?

Publié le 19/12/2018

A la base, le principe est simple : en vertu de son pouvoir de direction et d’organisation, un employeur peut librement modifier les horaires de travail des salariés, sans recueillir leur accord. Peut-il pour autant tout imposer au salarié? Cass.soc. 28.11.18, n°17-13158.

  • Les faits

Embauchée en 2007 par un centre d’appel en qualité de téléopérateur, une salariée accepte en 2010 de travailler partiellement de nuit. Rien n’est alors formalisé dans le contrat de travail. Ce qu’elle aurait pourtant dû exiger, car dès 2012, pour répondre aux demandes d’un client important, l’employeur ferme ce « service de nuit » et lui demande de travailler non plus en horaires de nuit, mais selon l’horaire collectif de jours, comme le prévoit également son contrat de travail. Etant bien entendu que cette modification entraîne aussi une réduction de sa rémunération...

Refusant de respecter ces nouveaux horaires, elle finit par être licenciée pour faute grave.

La salariée conteste son licenciement. Elle est malheureusement déboutée par la cour d’appel qui considère que : 

-     Les parties se sont mises d’accord lors de la signature du contrat pour dire que les horaires pouvaient être modifiés par l’employeur seul au titre de son pouvoir de direction,

-      Le fait, pour la salariée, d’avoir régulièrement exécuté, sur une période donnée, des horaires de nuit et d’avoir été rémunérée en conséquence (majorations de nuit) ne permet pas de dire que ces horaires sont devenus contractuels,

-        Les juges du fond ajoutent que la diminution du salaire résultant de ces changements ne constitue pas plus une modification du contrat de travail.

Bref, le refus de la salariée d’exercer ces nouveaux horaires relève de l’insubordination et justifie un licenciement pour faute grave...

Non satisfaite de cette décision, la salariée se pourvoit en cassation. 

  • A l'origine, un principe simple

Le principe est clair. Alors qu’un changement de la durée du travail constitue une modification du contrat de travail qui nécessite l’accord du salarié, une simple modification des horaires peut être librement décidée par l’employeur seul (sauf si ces horaires ont été contractualisés). On considère qu’il s’agit d’un simple changement des conditions de travail que l’employeur peut, en vertu de son pouvoir de direction, imposer au salarié.

Ainsi, à moins que le salarié soit à temps partiel, auquel cas les règles diffèrent, un employeur peut décider de répartir autrement les horaires de travail sur la journée ou entre les jours de la semaine. Il peut aussi faire passer d’une heure de travail de nuit à une heure de travail de jour (sans modification de la durée du travail ou de la rémunération) sans avoir besoin de recueillir l’accord du salarié (1).

La jurisprudence a même admis qu’un changement d’horaires entraînant une diminution de la rémunération résultant de la perte d’une prime de panier liée à des sujétions finalement disparues, pouvait être imposé au salarié (2).

  • En pratique, des applications plus nuancées...

Une jurisprudence "prudente". Si, de prime abord, le principe peut sembler clair et facile à appliquer, en pratique, les choses se corsent, obligeant les juges à analyser chaque affaire au cas par cas. Ainsi, en fonction des circonstances, l’élément sur lequel porte la modification sera-t-il considéré tantôt comme un élément du contrat que l’employeur ne peut modifier seul, tantôt comme un simple changement des conditions de travail que l’employeur peut imposer au salarié.

De nombreuses exceptions. La jurisprudence a ainsi été amenée à dégager différents paramètres à prendre en compte pour déterminer dans quelle mesure une modification s’impose ou non au salarié.

-        Le fait que les horaires de travail aient été contractualisés empêche l’employeur de pouvoir les modifier sans l’accord du salarié. C’est un peu ce qu’avançait la salariée en l’espèce, puisqu’elle estimait que le fait d’avoir régulièrement effectué des horaires de nuit et perçu la rémunération y afférant, avait eu pour effet de contractualiser ces horaires, interdisant à l’employeur d’y apporter quelque modification que ce soit.

-       Le fait que le changement d’horaires occasionne un bouleversement très important dans les conditions de travail. Il s’agit par exemple du passage d’un horaire fixe à un horaire variable, d'une nouvelle répartition des horaires entraînant la suppression de pratiquement tous les jours de repos le dimanche...

S’agissant du travail de nuit, la jurisprudence a considéré que le passage d’un travail de jour à un travail de nuit et vice-versa, ou encore que le passage temporaire ou partiel d’un travail de jour à un travail de nuit, constituaient des modifications du contrat de travail non imposables au salarié.

-        Le fait que le changement occasionne une atteinte excessive au droit du salarié, au respect de sa vie personnelle et familiale ou au droit de repos

-        Le fait que l'employeur ait modifié les horaires de travail dans l'unique but de nuire au salarié a été considéré comme une modification du contrat de travail en plus d'un abus de droit (3).

Un bouleversement de l’économie du contrat. C’est dans ce cadre que la Cour de cassation est venue censurer la décision des juges du fond. Selon elle, la cour d’appel ne pouvait pas juger le licenciement pour faute grave fondé sans avoir même recherché « si le changement des horaires de travail entraînant un passage du travail du soir ou de la nuit à un travail de jour assorti d’une réduction corrélative de la rémunération, n’entraînait pas un bouleversement de l’économie du contrat constitutive d’une modification du contrat de travail ». La Cour de cassation renvoie l’affaire devant une autre cour d’appel.

  •  Une solution qui ne surprend pas

Encore une fois, la délicate (mais essentielle) distinction opposant véritables modifications du contrat de travail et simples modifications des conditions de travail, fait des siennes.

Cette décision montre bien qu'y compris en présence d'un élément constituant a priori une simple condition d'exécution du contrat, comme ici les horaires de travail, la solution est loin d'être franchement tranchée !

Finalement, ce qui va déterminer le régime applicable (la nécessité ou non de recueillir l'accord du salarié), ce n'est pas tant la nature de l'élément du changement qui doit être prise en compte que les impacts de ce changement sur le salarié.


(1) Cass.soc.22.02.00, n°97-44339 ; Cass.soc.27.06.01, n°99-42462 ; Cass.soc.30.05.12, n°11-1087
(2) Cass.soc.09.04.15, n°13-27624.
(3) Cass.soc.12.03.02, n°99-46034.